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Extraits de livres : De mère inconnue
⇒ Retour Pourquoi, lui, Joseph Costesèque, était-il le seul à ne pas avoir de maman ? Pourquoi était-elle partie ? Tous ses camarades venaient à l'école en tenant la main de leur mère. Elles étaient belles, gentilles, attentionnées, elles sentaient bon, elles riaient fort. Avant de lâcher leurs enfants, elles les serraient contre elles longtemps, les embrassaient mille fois. Les petits entraient dans la cour, luisants comme des pommes, rouges d'amour et de bonheur. Lui, il avait la main dure de mamie Denise qui écrasait ses doigts soi-disant pour ne pas qu'il s'échappe, sa joue vieille et froissée, ses lèvres sèches, ses soupirs : « Pauvre petit ! »
Oui, pour un enfant en liberté, tout est beau et propice au jeu. Il lui suffisait de si peu pour échapper à la réalité : le ruisseau devenait une route sinueuse où les billes cyclistes effectuaient des courses vertigineuses, la rue brûlait au soleil comme une piste du Far-West au bord de laquelle s'embusquaient dans chaque encoignure de portail de redoutables Indiens et il n'était pas rare lors des parties de cache-cache les soir d'été qu'il aperçût, terriblement effrayantes mais somme toute inoffensives, les ombres d'un fantôme silencieux ou d'un vampire pressé glissant sans mouvement au-dessus du sol....
Lui, maintenant, ne rêve plus. Il ne voit que des façades grises, des portes closes, des voitures alignées, quelque chat indifférent assis sur le rebord d'une fenêtre. Forcément, il est désenchanté. Il est tout à fait conscient qu'il recherche des traces d'un temps qui, évidemment, n'existe plus.
Pour lui, enfant de la plaine ouverte à tous les vents et toutes les invasions, les Corbières représentent une montagne secrète, repliée sur elle-même, le coffre-fort du bas-Languedoc, celui qui recèle la vieille culture occitane, sa langue aussi et ses vastes espaces sauvages hors de portée des hordes de pillards et de touristes.
Tous les Languedociens gardent avec soin dans un coin de leur tête les images magiques de collines broutées par la garrigue, de roches grises déchirées par le vent, du murmure d'une source au fond d'une grotte.
Que reste-t- il de ces idées toute faites ? Joseph n'en sait rien ; peut-être les hommes ont-ils changé mais le relief et les rocs eux seront toujours là pour caresser le ciel et écraser sous leur ventre vert et broussailleux quelque ruisseau gracieux qui court en chantonnant sur des gravières luisantes puis se faufile entre des rochers moussus ou brodés de lichens selon les saisons. |