Jean-Pierre Grotti - Ecrivain romancier - Aude

Extraits de livres :  La Vigne de Jean



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1 / 
Un soir d’automne, il y a presque vingt ans.
Richou et lui sont dans sa voiture, ils reviennent de tailler. Tout au long de la journée, ils ont parlé de l’inquisition, de la fin des Cathares, de Minerve, de Montségur, du viol de tout un pays.
Jamais Jean ne s’est senti autant lié à ces garrigues dures, à ces plaines couturées de ruisseaux secs, à cette lumière éclatante sans laquelle, il le croit, il ne pourrait pas vivre, à cette langue rugueuse qui cascade de la bouche des vieux…
Dans la vigne de son père, au bord de la route des Monges, le fils Marty fait brûler les souches qui ont été arrachées au printemps dernier.
C’est une journée grise, sans vent. Dans le camaïeu gris du ciel, les flammes s’élèvent, gigantesques, ardentes, vivantes, droites, mouvantes. Elles lèchent le ventre sombre des nuages, jettent des éclats de sang sur la terre dépouillée.
Richou arrête son C 15. Ils regardent en silence, abasourdis par la révélation de ce qui se passe sous leurs yeux. Ce ne sont pas des souches de vigne qui brûlent, qui disparaissent dans ces lueurs sanglantes. C'est toute leur culture et leur vie qui se volatilisent dans les volutes troubles.
Tout ce temps, tous ces efforts qui ont servi à bâtir un pays, un peuple, un art de vivre sont anéantis dans cet instant.

Un soir de printemps, il y a presque huit siècles.
C’est une journée grise, sans vent. Deux cent vingt personnes, des hommes, des femmes et une jeune fille, blessés, affamés, épuisés, pieds nus, chantent, prient et pleurent en pénétrant dans un enclos gardé où ont été entassés des centaines de fagots.
Dans le camaïeu gris du ciel, les flammes s’élèvent, gigantesques, ardentes, vivantes, droites, mouvantes. Elles lèchent le ventre sombre des nuages, jettent des éclats de sang sur la terre dépouillée.

Au bout d’un long moment, Richou se tourne vers Jean :
- Tu vois, ce que ni les croisés de Montfort, ni les gelées noires, ni les maladies, ni les guerres n’ont pu détruire, la soif de l’argent l’anéantit en une génération et elle le fait sans violence, sans larmes, sans cris.

 
2 /
C’est étrange comme leurs vignes se ressemblent. Il connaît cette terre ocre et dure grivelée d’éclats de roches et illuminée petitement ici et là par de maigres touffes de rouquettes aux fleurs blanches toutes frémissantes. Il connaît ces ceps massifs, courbés par le vent, torturés par les ans, à l’écorce ravinée de sillons verticaux, ces ceps durs et rudes comme les sangliers dont ils ont la couleur.
Ils semblent s’arracher de la glèbe, bras tendus comme ceux d’une armée de géants qui émerge de l’océan. Jean rêve, il s’attendrait presque à les voir se mettre à croître à vue d’œil, jaillissant de plus en plus haut vers le ciel.
En même temps, il prend conscience de la lente éclosion de la graine, de la laborieuse ascension de la tige vers la lumière, de toute l’énergie nécessaire pour que pousse un brin d’herbe, un pied de vigne ou un chêne et il se dit que la puissance de la nature est infinie.
Rien ne bouge, rien ne chante, la vigne taillée est morte. Jean marche dans l’alignement infini et triste d’un cimetière militaire. La vie s’en est allée : elle s’est dissimulée au cœur des souches bourrues, emmagasinée dans la profondeur des racines, en attente, en espoir.
Seuls les moignons des sarments taillés se lèvent comme des doigts d’enfant pour attirer l’attention, pour dire :
« Hé, on est là nous, on espère. Rien ne finit jamais ! »
Le ciel à présent est recouvert d’une peau claire de nuages. La lumière paraît jaillir de partout, aussi bien de l’espace que de la terre et même de sa nudité. La nature baigne dans une clarté blanchâtre qui fait ressortir la teinte sombre des souches. Oui, elles ressemblent à des croix et Jean, soudain, sent peser sur lui comme une main amie, une vague tristesse, un peu de nostalgie, l’aile du temps qui passe.


3 /
Fissou : Quel avare ! On lui porte tout et il ne veut pas faire Pâquette. Finalement, le magot il l’a peut-être tout économisé… Pensez-y, il n’a pas encore acheté de sandales !
Tissous : Si son petit lui ressemble, au restaurant, il faudra chercher la viande sous les frites ! Toi, Croustet, tu devras commander trois repas !
Khrouchtchev : Bah, vous savez, la nourriture, ce n’est pas tout. Certains de nos ancêtres ouvriers se passaient de pain pour s’acheter des livres !
Croustet : Ils mangeaient des livres ? Les pauvres !
Picou : Moi aussi j’aurais pu me passer de pain quand j’étais plus jeune mais pour aller faire un tour à La Junquera.
 


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