Extraits de livres : Le nouveau monde de Juliette
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Mélanie la tire par la main et toutes deux se retrouvent en riant en train de dévaler la dune. Elles atteignent la plage, haletantes, les cheveux et les habits en désordre. L’air est mouillé, frais, vivant, plein de parfums iodés, de récits de voyage, de tempêtes anciennes, de navires fantômes et de baleines blanches.
Au fur et à mesure qu’elles s’approchent de l’estran, l’éclatement des vagues sur le sable occupe tout l’espace, occulte leurs paroles et même les cris rauques des goélands. L’air vibre, c’est l’océan tout entier qui entre dans leur corps, les traverse et les emporte. Trop de bruit, trop d’effluves, trop d’embruns sur la peau, trop de moirures, de glissades, de fuites, de remous dans l’eau.
Les deux femmes se tiennent par la main, minuscules et fragiles sur la plage déserte, face au Léviathan effroyable, onduleux et souple de la mer.
Tout Estignan avait apprécié avec une férocité malsaine que la belle et fière Juliette Rivaldi, l’étrangère qui habite dans la jasse (la bergerie) se retrouve abandonnée par Jacques :
« Bien fait, ça lui fera les pieds à cette mauvaise fille qui allume tous les hommes. Il n’y a pas que le cul dans la vie… quand même ! »
Bon, Mélanie n’aimait pas Jacques, mais quoi ? Était-ce une raison suffisante pour le quitter ? Pas du tout. Si tous les gens qui ne peuvent plus se supporter ou seulement ne s’entendent plus, se séparaient, plus personne ne vivrait en couple.
- Quel malheur tous ces divorces !
- Mais ma pauvre, maintenant en ville c’est comme ça !
- Ah bon, et bé j’ai de la chance d’habiter au village.
- Pourquoi tu dis ça, ton Armand ça fait au moins quinze ans qu’il est mort ! - Oui mais en venant vieux, il devenait lapin, tu peux pas savoir…
- Juliette, peu d’individus sont capables de poursuivre le même but pendant soixante ans.
- N’est-ce pas dommage de consacrer toute sa vie à une seule chose ?
– Rien de grand ne se crée sans passion, certes, mais surtout, rien de grand ne se crée en un jour… La durée de l’effort est la condition même de la réussite. Que vous soyez fou de musique, de lettres, de jardinage ou du crachat de noyaux de cerises, cela ne compte guère. L’important n’est pas l’objet de la passion, c’est l’élan qu’elle donne à l’existence.