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Extraits de livres : Le temps des vendanges
⇒ Retour Stéphane est ravi, il a bien fait de s'engager dans ces vendanges, Ce ne doit tout de même pas être un travail très fatigant ; il revoit des images vivement colorées de cueillettes joyeuses glanées dans quelques livres pour enfant sage. Une belle jeune fille avec un foulard rouge portant à ses lèvres pulpeuses une grappe aux grains dorés, un gaillard souriant avec sa hotte sur le dos cueillant des raisins. Oui, il est ravi ; il s'est donné l'autorisation de s'échapper... un peu. Même la colère de sa mère lui prouve qu'il a bien agi. Il a si souvent l'impression que sa vie est déjà jouée et qu'il ne sortira jamais de cette existence. Depuis dix ans, c'est la première fois qu'il va fréquenter des gens du village pendant aussi longtemps ; une quinzaine de jours à entendre d'autres sons, d'autres mots, d'autres idées, à rencontrer d'autres personnes et, forcément, à se poser d'autres questions.
Pour occuper son esprit, il essaie de compter le nombre d'allers-retours qu'il effectue dans une heure, mais il abandonne, trop de variables entrent en jeu : la distance par rapport à la benne qui évolue constamment, le temps du remplissage des seaux... Occuper l'esprit, c'est à dire réfléchir à un objet extérieur à ses préoccupations immédiates, penser le plus longtemps possible à autre chose qu'à la chaleur accablante et à la longueur désespérante des heures, des minutes, des secondes même.
Seize heures trente, chaque minute qui passe le rapproche de la fin de la journée, de ce moment fabuleux où il sera libre de faire ce qu'il veut. Seize heures trente, moment tout à fait banal d'une journée banale mais aujourd'hui instant extraordinaire à partir duquel les secondes, qu'il imagine comme un défilé infini de fourmis, vont grignoter inexorablement le morceau de temps qu'il lui reste à passer dans cette vigne immense et brûlante.
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