Extraits de livres : Le vieil homme qui rêvait d'amour
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Ils marchent. Ils ont besoin de se retrouver seuls, besoin de se savourer loin des autres. Le sable est frais. De petites vagues tricotées de coton blanc clapotent en clairs bouillons évanescents sur la plage. La lune étire ses bras pâles sur la masse sombre de la mer. Loin derrière eux, dans un autre monde, à des années lumières, halète une fausse nuit saturée de musique et de bruits, déchirée par les projecteurs, piétinée par la foule.
- Tiens, dit-il en tendant à Marcel une feuille pliée en deux, je l’ai fait pour toi.
Fabio a dessiné son tyrannosaure avec des crayons de couleur. Il n’a pas oublié l’attelle qu’il a représentée par un large trait noir contre la patte du reptile. Marcel observe longuement le dessin. Il pense à d’autres feuilles jadis, à peine regardées et aussitôt abandonnées, à une autre frimousse impatiente qui attendait un jugement - un compliment - qu’il n’a jamais donné. Il est ravi pourtant, il a envie de pleurer.
- C’est un très beau dessin Fabio. Il me plaît beaucoup, je l’afficherai au mur dans ma chambre.
Le garçon sort tout heureux. Marcel a les yeux pleins de larmes. Comme il est facile de donner du bonheur à un enfant ! Comme il a été dur - stupide - avec son propre fils !
Quel orgueil, quel aveuglement imbécile ! Il se prenait pour Dieu capable dans l’instant de séparer le bon grain de l’ivraie !
Il est saisi de vertige. Toutes ses certitudes, tout son bunker d'idées reçues, d'affirmations gratuites, d'impressions définitives est en train de s'écrouler. Il a dû être insupportable ! Ce n'est pas étonnant qu'il se retrouve seul comme une bête mauvaise. Comment réparer le mal qu'il a causé durant toute son existence ?
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