Extraits de livres : Le vrai prix de Marie
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Tout abandonner, laisser monsieur, madame, Jacques, le pavillon. Repousser le portail du château et en même temps refermer une porte dans sa tête, définitivement.
Etre Marie Séral, épouse de Yves Séral maçon, mère de Cécile Séral, demeurant à Toulouse, avenue Jean Brul, résidence '' Les Chardonnerets '' appartement 28 B.
En même temps qu'elle pense à cette vie, elle ressent toutes les frustrations, toutes les injustices qu'elle a subies chez elle avant de travailler.
Est-il possible de garder les yeux baissés durant toute son existence ?
Est-il possible d'avoir un peu de bonheur seulement à travers le bonheur des autres ?
Depuis quelque temps, elle se surprend à regarder son mari – à le voir – d’une façon objective, presque comme s’il s’agissait d’un inconnu. Elle a du mal à retrouver dans ce visage gris et fatigué, ce dos un peu courbé, le corps bronzé et vigoureux de son grand Amour…
Elle a encore plus de difficultés à ressentir dans leurs brèves étreintes, les fulgurants et voluptueux élancements de naguère…
Et les mots doux, les mots caresses, les mots amour ? Il doit les avoir oubliés, il ne les dit plus.
Quelque chose lentement se défait en elle – en eux ? -- . Elle le sent, elle en prend conscience mais refuse de l’admettre.
Y a-t-il de la place pour l’amour dans cette petite vie serrée, dans cet appartement minuscule et sombre perdu dans le dédale gris de l’immeuble ?
Elle ne dira rien à son mari. Après tout, Jacques n’est qu’une simple relation de travail.
Ce n’est rien de grave pourtant, elle ne pensait pas ressentir à nouveau ce genre d’émoi…
D’un seul coup, reviennent à la surface de sa mémoire tous les frémissements, les palpitements de son cœur de jeune fille lorsqu’un mot, un regard, un sourire faisaient s’allumer en elle des galaxies d’espoirs et de craintes.
Et le premier baiser, sur un pont, au-dessus d’un canal herbeux. Et le retour main dans la main comme des amoureux de cinéma, à la fois fiers et craintifs…
Elle croyait que le temps, le mariage, la vie difficile avaient définitivement fixé sur tout cela un grand et lourd couvercle. Elle croyait…
En fait, il a suffi de bien peu de choses pour que jaillissent à nouveau, émouvants et forts comme autrefois, les sensations et les sentiments de jadis…
C’est donc vrai, toutes ces histoires de gens qui s’aiment et qui pourtant se trompent ? Cela peut-il réellement arriver à tout le monde ? Même à elle ?
Ce soir, Yves rentrera fatigué, les traits tirés, le visage poussiéreux et gris.
Il lui dira deux ou trois mots.
Il se douchera.
Il se servira un café.
Il s’installera devant la télévision.
Peut-être, au moment du repas, racontera-t-il une ou deux histoires entendues dans la journée…
C’est tout.
Il ne la regardera pas.
Il ne lui demandera rien.
Il ne devinera rien.
Il ne saura rien.
Yves appartient au monde des pauvres, des vaincus, de ceux qui tremblent pour demain.
Elle évolue parmi ceux qui dirigent, parmi les puissants. Il rejaillit sur elle la réverbération de leur éclat et de leur force.
Leurs routes ne sont plus parallèles.