Extraits de livres :  Revoir Margot

⇒  Retour

Il parcourt des yeux la plaine docile veinée de chemins ocre et râtelée de vignobles. Il pense à toutes ces générations de paysans qui l'ont précédé, hommes bourrus et rudes, allant souvent pieds-nus et misérables mais roulant dans leur bouche l'occitan originel, mais libres aussi, sous le même soleil et le même vent que lui.   

Libres comme il se sent lui-même dans son combat quotidien face à sa meilleure ennemie, cette terre dure, rugueuse, impitoyable mais souvent généreuse et grosse de promesses. Il travaille et il voit, de jour en jour, naître, croître et mûrir le fruit de son œuvre comme un peintre ou un écrivain. Lui se verrait plutôt écrivain, études de lettres obligent... 

 - Et si vous aviez raison, et si je désirais vous rencontrer juste pour savoir si vous aviez encore quelque sentiment pour ma mère, que me répondriez-vous ?

            - Que c'est ridicule ! Vingt-neuf ans qu'elle m'a abandonné, vingt-neuf ans, plus que toute votre vie.  Vous pensez que l'on sort indemne de vingt-neuf ans d'existence ? Vous êtes bien naïve ! Regardez-moi, j'ai cinquante-cinq ans, ma peau est brûlée par le soleil, mon front est autant ridé qu'une page de cahier d'écolier, je me tasse, je m'empâte, je souffre des reins, j'ai besoin de lunettes pour lire...

Un peu de vent, des poignées d'oiseaux, le ciel comme une vaste mer, du soleil, les deux femmes marchent d'un bon pas dans la campagne vide, entre friches, vignes, îlots de garrigue et bosquets. Un bruit de tracteur leur parvient par intermittence, au gré de la direction du vent et de la forme du relief. Il forcit peu à peu et le cœur de Margot commence à battre plus fort. C'est lui, elle en est sûre, c'est Bruno.